La perfide Albion ~ Voir le sujet

La journée avait commencé sous d’excellents auspices. Le lit de son parrain, désormais séparé en deux par une ligne qui n’était plus imaginaire depuis que Teo avait trouvé un marqueur, avait été des plus confortables et la nuit avait été excellente malgré la musique de fond gracieusement fournie par son frère. Au matin, les bruits de pas dans les couloirs avaient réveillé Teo qui avait le sommeil léger et par extension, Vera. Réveiller Manuele pour avoir un petit déjeuner s’était révélé être une tâche ardue que l’électron mâle avait eu le plaisir d’accomplir en sautant sur leur cousin. Celui-ci s’était d'ailleurs dépêché d’accéder à leurs exigences pour aller redormir (en leur proposant au passage une glace contre quelques heures de sommeil supplémentaires, ce à quoi Vera répondit qu’elle acceptait parfaitement de prendre une glace sans contrepartie, mais Emanuele s’était tout de même recouché dans le salon).

Tout en mangeant ses tartines, la petite italienne avait sagement écouté Teo traumatiser les personnes qui vivaient dans l’appartement (maintenant que Manu avait lancé un sort de traduction sur eux, son jumeau avait jugé judicieux de réclamer des réponses à ses questions débiles), non sans lui flanquer de temps en temps une claque dans le dos de la tête s’il devenait trop impoli.

Puis Nat’ qui était en congé s’était chargée de les habiller et de les occuper jusqu’à midi où ils allèrent de nouveau réveiller leur parrain (la dernière fois qu’ils avaient goûté la cuisine de la japonaise, ils en avaient été malades pendant deux jours entiers) pour réclamer leur dû. Bien obligé d’obtempérer, et Enza devait avouer que Teo se montrait particulièrement persuasif, Manuele s’était levé, habillé, toiletté et leur avait dit de mettre leurs chaussures.

« Pourquoi on ne prend pas la Cheminée ? » avait demandé Teo lorsque ils sortirent sur le pallier.

« Je vous connais. La dernière fois que vous avez pris la cheminée pour Rome, vous avez atterri à Milan parce que vous avez repéré une boutique de jouets en chemin. »

La porte n’était pas fermée que Teo s’était jeté sur la rambarde de l’escalier, poussait un grand cri de guerre et se retrouvait cinq étages plus bas. Dévalant les marches, Vera était restée debout à côté de son parrain qui examinait le poignet… Cassé. Quel imbécile, elle était sûre qu’il l’avait encore fait exprès. Ce garçon se débrouillait toujours pour aller à l’hôpital au moins une fois par semaine. La semaine dernière, il avait manqué de se noyer parce qu’il avait parié qu’il pouvait nager les pieds attachés. La semaine d’avant, il avait essayé (pour la énième fois) de s’envoler en utilisant des draps en guise d’ailes.

Et il souriait, tout fier, le bougre.

« T’es vraiment qu’un idiot, hein ! » cria-t-elle en lui flaquant un coup de poing dans le nez.

Et ils étaient tous partis pour Sainte Mangouste. Au lieu d’avoir une glace.
Et maintenant, Vera était obligée d’attendre dans le café de l’hôpital que le Médicomage arrange les bêtises de son jumeau.
Et elle s’ennuyait toute seule devant son chocolat chaud.

Par l'une de ces bizarreries de la vie, du hasard, du destin, bref, Lou se trouvait à Sainte Mangouste ce jour là, poireautant après son rendez-vous - entretien particulier avec le chef du Service des Virus et Microbes Magiques - qui avait déjà plus d'une heure de retard. Elle en était même à se demander s'il ne l'avait pas tout bonnement oublié ou si ses "collègues" ne l'avaient pas envoyé exprès parce qu'ils savaient que le bonhomme était loin d'être à cheval sur la ponctualité.

Poussée par la faim, la rouquine décida, encouragée par les grognements de son estomac, de ne plus faire le pied-de-grue au troisième étage mais de se rendre à la cafétéria de l'hopital pour grignoter quelque chose et peut-être envoyer un hibou à son Médicomage préféré qui devait s'ennuyer d'elle, à Poudlard - en réalité c'était elle qui s'ennuyait de Poudlard, mais elle n'était pas prête à l'admettre.

Pénétrant dans la grande pièce relativement agitée - un hôpital, c'est bien connu, rien de plus bruyant, le regard mousse accrocha presque automatiquement une silhouette depuis peu familière. Vera ! Mais qu'est-ce que la petite fille pouvait bien faire là ? Les pires scénarios défilèrent dans sa tête, Teo était mort, Manu était mort, les deux étaient morts, Vera était blessée, ou en état de choc. Sans réfléchir davantage, la jeune femme se précipita jusqu'à la table où l'enfant dégustait en silence son chocolat chaud.

-"Vera !" s'exclama-t-elle en prenant place devant elle, l'air inquiet.

-"Qu'est-ce que tu fais ici ? Tu vas bien ? où est ton frère ? et Manu ? Tu t'es perdue ? Tu veux que je te ramène à l'appartement ?"

Evidemment, la rouquine mitraillait plus ou moins sa malheureuse interlocutrice, mais elle avait toujours eu beaucoup de mal à gérer le stress. En temps normal elle le faisait passer en frappant sur quelqu'un, mais voilà, Drew étant stupide, il avait doublé, et elle ne pouvait même pas se défouler sur lui.

Assise sagement sur sa chaise, serviette sur ses cuisses et mains posées autour de sa tasse, Vera était toute occupée à maudire son jumeau, probablement occupé à raconter des bêtises au Médicomage malgré la présence de Manuele. Non, mais franchement ! On avait pas idée de se briser le poignet. Pour la peine, il aurait mérité qu’elle lui fiche plus qu’un seul coup de poing (il n’y faisait plus attention depuis longtemps de toute façon).

Une moue de duchesse contrariée peinte sur son visage, elle attrapa sa tasse pour y boire une longue gorgée et s’apprêtait à aller vagabonder dans les couloirs – tant pis pour les deux garçons : ils n’avaient qu’à pas mettre autant de temps à aller réparer les bêtises de son frère – lorsque Lou et son bataillon de questions apparurent soudain dans son champ de vision.

« Moi, c’est Enza. » grogna-t-elle, plus contrariée par les lubies de l’autre crétin que par Lou.

Elle leur avait pourtant dit qu’elle n’aimait pas qu’on l’appelle Vera et il n’y avait guère que Manuele (qui, en tant que parrain, lui avait donné ce nom affreux) et Teo (qui ferait moins de fier le jour où elle saurait utiliser une baguette) pour le faire encore. Aurore aussi, mais quand on a un katana, on peut tout se permettre. XD

« Perdue ? » répéta-t-elle sans comprendre.

Est-ce qu'elle avait l'air perdue, assise dans ce café à boire un chocolat chaud ?

« Mais non, c’est cet idiot de Teo qui a encore fait n’importe quoi ! » s’emporta-t-elle : « On allait prendre déjeuner et prendre une glace mais Môssieu a décidé de glisser sur la rambarde de l’escalier et comme toujours, il a trouvé le moyen de se blesser. »

Teo n’était rien d’autre que l’illustration vivante de la Loi de Murphy.

"Moi, c'est Enza". Lou tiqua devant ce rappel à l'ordre. Elle avait oublié que la petite princesse n'aimait pas que l'on use de son premier prénom. Elle n'allait certainement pas lui en vouloir, elle égorgerait volontier le premier qui utiliserait le sien... Enfin, emportée par l'émotion elle avait omis de prendre garde à la façon dont elle prénommait V.. Enza. Cela ne se reproduirait plus.

*Oui enfin en même temps tu ne vas pas te laisser dicter ta conduite par une gamine de 8 ans.* s'admonesta-t-elle in petto.

Si elle était parvenue à s'imposer parmi tous ses cousins et cousines, il n'y avait aucune raison qu'elle ne parvienne pas non plus à asseoir son autorité face à la demoiselle. Avec un peu de chance, son entrée fracassante, batte en main, avait imposé le respect à ses cadets - oui, bon, elle avait bien le droit de s'encourager.

-"Oh... Ouf ! Ce n'est que ça !" laissa échapper la rouquine avec un soulagement visible.

-"Je ne veux pas dire que ce ne soit pas grave mais... enfin... il s'en sortira ! Tu l'attends ici depuis longtemps ? Manu est avec lui ?" demanda-t-elle encore tandis qu'elle se redressait un peu plus correctement sur sa chaise, lissant rapidement le tissu vert feuille de sa jupe et réajustant son chemisier assorti.

Pour sa première interview - qui n'aurait peut-être jamais lieu finalement - Lou avait soigné son apparence. Maintenant elle regrettait d'avoir perdu autant de temps dans la salle de bain...

-"Ils ne vendent pas de glace ici ?" interrogea-t-elle encore après un coup d'oeil vers le chocolat chaud d'Enza.

« Ce n’est pas assez grave pour l’envoyer chez Pluton mais juste assez pour qu’on doive venir ici. » marmonna-t-elle.

Manuele n’étant pas très doué en sortilèges de guérison, il avait préféré ne pas tenter l’expérience. La fillette, elle, s’était dit que de toute façon, pourquoi réparer le poignet correctement quand son double allait se le briser d’ici la semaine prochaine de toute façon. On n’aurait qu’à demander au médicomage de lui faire un tout nouveau poignet. Et puis, avec toutes les bêtises que faisait Teo, il méritait d’avoir à subir la douleur de la repousse de ses os. Surtout qu’à cause de lui, ils allaient devoir recommencer tout leur travail de sape s’ils voulaient l’avoir leur glace.

« Même avec tous les os cassés, il est encore capable de faire des bêtises alors Manuele a dû aller avec lui. Une fois, un guérisseur l’a laissé tout seul deux minutes et il a réussi à goûter les potions dans la pharmacie. » expliqua-t-elle, un sourire naissant spontanément à l’évocation de ce souvenir.

Le mélange de potions l’avait transformé en canari et Teo avait rendu fou tout le service en voletant – rebondissant, serait plus juste – d’un meuble à l’autre pour qu’on ne le soigne pas. Pour le coup, Vera avait un peu jalouse de ne pas avoir l’occasion d’essayer ce nouveau jeu mais le spectacle en avait valu le coup.

« Et toi ? Tu rends visite à ton amoureux ? Tu as passé beaucoup de temps dans la salle de bains ce matin, c’est pour ça ? » demanda-t-elle en penchant la tête sur le côté pour mieux voir les vêtements de Lou.

Lorsque celle-ci évoqua les glaces, Vera haussa les épaules avant les faire tomber lourdement, un soupir résigné s’échappant de ses lèvres.

« Nan… » répondit-elle avant de pousser sa tasse vers Lou : « Tu en veux ? Teo m'énerve, il fait tout le temps des bêtises : enfin, c'est un garçon. Ce n'est pas vraiment sa faute, hein ? »

Un sourire en coin vit le jour sur le visage de Lou devant les paroles de sa jeune interlocutrice. Si elle se mettait à sa place, la rouquine devait avouer qu'elle aurait également été légèrement agacée de devoir attendre dans une cafétéria d'hôpital plutôt que de se faire une glace. Mais les garçons étaient des empêcheurs de tourner en rond, toute fille encéphaliquement bien formée le savait, pour cette raison, toute fille encéphaliquement bien formée devait essayer de les fuir comme la peste. Malheureusement il semblait souvent à Lou qu'elle était la seule à adopter cette sage attitude...

-"Ton frère me rappelle quelqu'un... Si ça se trouve, dans quelques années, il aura lui aussi une infirmerie baptisée à son nom..." fit remarquer l'ex Gryffondor avec un petit soupir entre l'amusement et la résignation.

-"Et qu'est-ce le mélange de toutes les potions a eu comme effet sur lui ?" demanda-t-elle tout de même, poussée par la curiosité - qui savait, elle pourrait peut-être en toucher deux mots à Drew histoire qu'il s'amuse un peu lui aussi.

La mention d'un pseudo amoureux fit venir le rouge aux joues de Lou. Effet physique pour lequel elle se baffa aussitôt mentalement. Il fallait qu'elle se reprenne que diable, elle était vraiment ridicule à virer pivoine sitôt qu'on lui posait des questions au sujet de ses amours - inexistantes soit dit au passage.

-"C'est beaucoup moins, hum, romantique que ça... Non en fait j'ai rendez-vous avec un chef de service mais ça fait des heures que j'attends et j'en avais un peu marre donc je suis venue chercher de quoi manger ici..." avoua-t-elle prosaïquement.

Heureusement, soucieuse de son petit estomac, Enza lui proposa avec beaucoup de magnanimité le reste de son chocolat. Lou accepta d'un hôchement de tête accompagné d'un sourire empreint de gratitude. Tandis qu'elle portait la tasse à ses lèvres avec gourmandise, elle écoutait sagement les récriminations de l'enfant.

-"Je ne pense pas que ça soit vraiment sa faute en effet... Les garçons doivent être programmés pour faire des bêtises, et les filles pour essayer de réparer ces bêtises et de punir les garçons..." philosopha la jeune fille d'un air pénétré.

-"De toute façon, ils sont toujours coupables de quelque chose... Regarde ton parrain, il passe son temps à dormir, alors qu'à l'appart nous sommes quatre pauvres femmes à trimer toute la journée..."

« Il ne manquerait plus que ça ! Il en profiterait pour faire encore plus de bêtises ! » s’exclama-t-elle.

Teo était déjà assez fier de ses blessures de guerre sans qu’on en rajoute en lui faisant un hommage pareil. Il se vantait déjà, à qui voulait l’entendre, du nombre de fois où il s’était brisé un os (parce que, oui !, cet idiot tenait des comptes en plus !). Ceci dit, si c’était elle qui envoyait son jumeau à l’infirmerie à chaque fois, il y avait peut-être moyen de s’arranger.

Vera dut faire appel à tout son sérieux pour ne pas exploser de rire en imaginant son double piaillant partout dans l’étage, une troupe de sorciers qui hésitaient à lui lancer des sorts de peur de toucher les gens qui patientaient dans les couloirs ou les chambres. Non, ne rit pas. N’oublie pas, tu es fâchée contre Teo. Teo qui t’oblige à attendre ici, Teo qui ne fait que des bêtises, Teo qui… Voilà. Fais juste un sourire et satisfait la curiosité de Lou.

« Ca l’a transformé en canari. Il a tellement aimé. Depuis, il essaie dès qu’il se retrouve seul : notre gouvernante a été obligée de piéger – plus qu’elle ne l’était déjà – la pharmacie de la maison pour l’empêcher de la dévaliser. » soupira-t-elle, faussement exaspérée.

Lorsqu’il fut question de l’hypothétique amoureux de son aînée, Vera se retint se monter sur la table pour interroger la jeune femme en bonne et due forme. A la place, elle reprocha la chaise, se pencha un peu en avant pour murmurer :

« Oh, tu es enceinte ? C’est qui le papa ? »

Lou ne paraissait pas être blessée, ni même particulièrement malade. Non, vraiment… la fillette ne voyait pas d’autres raisons de venir à l’hôpital. Bon, sauf si c’était pour accompagner un crétin qui s’était cassé le poignet.

« Hum… »

Hochement de tête. Lou avait raison… La Nature avait créé les hommes et voyant toutes les bêtises qu’ils faisaient, Elle avait créé la femme. Ceci dit, ça n’avait rien d’étonnant : livrés à eux-mêmes, l’espèce se serait sûrement éteinte avant la fin de la journée.

« Manuele dort tout le temps. C’est ce qu’il fait de mieux. A part, peut-être manger et faire à manger. Et s’amuser. Tata et Tonton ont bondi de joie quand ils ont appris qu'il avait trouvé un travail, même si c'était juste jardinier. »

Mais même s'il avait un travail que Vera ne ferait jamais, même s'il dormait tout le temps, même s'il lui avait donné le nom de son poisson rouge parce qu'il n'avait pas d'autres idées, même avec tous ses défauts de garçon, la petite fille aimait son parrain à la folie. Il n'avait pas son pareil pour inventer des jeux et obtenir - monnayer serait plus juste - quelques heures de calme.

La mention de la transformation de Teo en fringillidé jaune et piaillant fit éclater de rire sa rousse interlocutrice. Elle imaginait parfaitement la pagaille que le garçon avait du semer dans tout le service – voire même tout l’hôpital qui sait. Il lui rappelait un peu son cousin Valentin qui, à l’âge de onze ans, donnait des cheveux blancs à tout son entourage.

La mention de la gouvernante la fit s’interroger quelque peu. C’étaient les gens riches qui avaient des gouvernantes, non ? En même temps, elle n’y avait pas réfléchi jusqu’alors, Emanuele ne devait pas appartenir à la plèbe… L’appartement qu’ils habitaient à cinq appartenait à sa mère si elle avait bien compris. Enfin, de toute façon tout ça avait peu d’importance, Lou n’avait rien contre les riches, tant qu’ils ne se montraient pas suffisants.

La question de Vera la fit s’étrangler avec son chocolat chaud. Reposant la tasse sur la table dans un claquement sec, Lou toussa à se faire virer rouge vif. Une fois sa respiration plus ou moins reprise, elle posa sur l’enfant un regard humide et se hâta de mettre fin à ses illusions.

-« Non non non non non non. Je ne suis pas enceinte ! »

*D’ailleurs je suis toujours vierge alors sauf par l’opération du saint esprit…*

-« Je suis journaliste. Enfin pseudo journaliste. Je dois interviewer quelqu’un. »

Chose à laquelle elle croyait d’ailleurs de moins en moins. Si ça continuait comme ça elle donnerait sa démission d’ici demain et irait se chercher un nouveau job. Tout plutôt que ces bêtises. Qui sait, peut-être que Fleurybott la prendrait à l’essai… elle pourrait couvrir les bourdes de Kristin tout en s’amusant avec elle… Le rêve en somme…

-« Moi aussi je sais très bien dormir, manger et m’amuser. J’aimerais bien avoir l’occasion de vivre ces passions un peu plus pleinement… Je t’assure Enza, le monde du travail c’est vraiment usant. Tu ne veux pas que je devienne ta gouvernante ici, à Londres ? Je vous emmènerai partout, on fera des tas de bêtises et je t’aiderai même à frapper Teo si tu veux… »

Arrêtant un instant une serveuse, elle commanda un sandwich végétarien puis se tourna vers la petite fille :

-« Tu veux quelque chose à manger ? »

Un sourire de compréhension vint flotter sur le visage de la fillette qui se mit à rire aussi, emportée par l'amusement de Lou : cette histoire provoquait toujours cette réaction, aussi sûrement que un plus un égal deux. D'ailleurs, Teo en était fier comme paon et n'hésitait pas à l'enjoliver (actuellement, l'anecdote se terminait par une course poursuite avec des Tireurs de baguette professionnels mais elle était sûre que bientôt les Aurors débarqueraient pour l'empêcher de mettre un bazar pas possible dans l'étage).

« Ah. »

Vera était un peu déçue. La vie des grands avait l’air moins palpitante que ce qu’elle croyait. Une interview ? On était obligé d’aller demander aux gens plutôt que d’inventer les réponses ? Finalement, être journaliste était bien moins attrayant qu'elle l'avait cru. C’était comme quand Manu disait qu’il partait étudier les plantes dans un monde dangereux et lointain… en fait, il était juste jardinier. En plus, la jeune femme n’était même pas enceinte d’un inconnu.

De toute façon, elle deviendrait princesse. Elle pourrait faire ce qu’elle voulait.

« Tu as le droit de frapper Teo, même sans ça : il a une mémoire de fée et reviendra vers toi deux secondes plus tard. » répondit-elle, croyant que Lou voulait les garder uniquement pour pouvoir se défouler sur son jumeau (ce qu’elle comprenait parfaitement pour devoir le supporter vingt-quatre heures par jour, sept jours par semaine et douze mois par an).

De toute façon, toute personne qui l’aiderait à mettre dans le droit chemin son double maléfique serait la bienvenue.

Acquiesçant sagement à la proposition de Lou, elle demanda une assiette de pâtes à la bolognaise avant de remercier l'anglaise avec un grand sourire gourmand.

« Merci. Manuele est long, je suis sûre que Teo a encore fait des bêtises ! » râla-t-elle.

« C'est même pas vrai ! J'ai été très sage. Vera. »

Vera se tourna brusquement sur sa chaise à l'entente du prénom détesté, faisant tomber sa serviette par terre. Teo se trouvait quelques mètres derrière elle, avec son parrain en retrait. Celui-ci affichait d'ailleurs un visage épuisé alors que son jumeau paraissait aux anges. Se levant sans avertissement, elle se planta devant son frère et le félicita d'un coup de poing dans le ventre.

« Je t'interdis de m'appeler Vera !! »

« Vera ! Vera ! Veeeeeera !! » scanda aussitôt Teo.

« Idiot ! » laissa-t-elle échapper alors qu'elle retournait à sa place sans ramasser la serviette, toute occupée qu'elle était à regretter la terrible erreur qu'elle venait de faire (Règle numéro sept : ne jamais interdire à Teo sans le secours d'une baguette sinon le résultat est pire). >_<

[ Boaaarf. C'est nul. ]

Oui, Teo avait été sage. Très sage. A son échelle de sagittude, cela s’entend. Le médicomage qui était venu soigner son poignet – quel inconscient – avait commencé à répondre à la curiosité faussement candide du garçon, totalement ignorant du fait que ce dernier était un habitué, avant de réaliser son erreur. Encouragé par le sorcier, il avait commencé à poser des questions de plus en plus personnelles (c’est parce que vous puez des doigts que vous avez pas de femme ? elle en avait assez de vous ? et votre chat ? c’est aussi à cause de ça qu’il est mort ?). Manu, tranquillement assis près de la porte, n’avait pas dit un seul mot et avait fait savoir au sorcier désespéré qu’il n’y pouvait absolument rien.

Le poignet réparé, ils étaient allés à l’accueil pour payer les soins et signer les papiers lorsque Teo avait soudainement décidé qu’ils allaient faire la course jusqu’au dernier étage où les attendait Vera. Manu s’en serait bien passé et n’aurait pas couru dans les escaliers dératés si le petit n’avait pas promis de dire à ses parents qu’il léchait les langues de ses colocataires (fait totalement faux mais il est bien connu que les parents ne croient jamais leur progéniture) s’il perdait.

Arrivé au bout des cinq étages de l’hôpital, Manu fit encore l’effort de rejoindre Teo, déjà arrivé. Une main posée juste sous une côté battante, il s’efforça de ralentir sa respiration. Il allait d’ailleurs se mettre à crier sur l’enfant lorsque Vera lui ficha son poing dans le ventre. Ressentant une satisfaction plutôt malsaine (mais totalement justifiée), il retrouva le sourire et le feu aux joues, il posa une main sur l’épaule de l’enfant pour l’enjoindre à s’installer avec les demoiselles.

« Coucou Lou. Qu'est-ce que tu fais là ? » dit-il péniblement, le souffle encore court.

La tendresse dont Enza faisait preuve envers son jumeau n'était pas sans rappeler à Lou son propre comportement avec Drew. Elle espérait quand même qu'elle avait l'air un peu moins... sadique ? De Teo ou de Drew, elle dirait pour l'instant que c'était Drew le plus insupportable, toutefois elle n'avait pas eu à supporter Teo pendant plus de quelques heures jusqu'ici, sans compter que c'était à chaque fois Manu qui s'occupait de gérer les débordements de ses deux cousins.

-"Je te laisse ce privilège, tu t'en sors beaucoup mieux que moi. Je préfère frapper les adultes." apprit-elle à son interlocutrice avec un sourire innocent.

-"De rien, régale toi de toute façon je crois que ..."

Lou n'eut pas le loisir de poursuivre, coupée en pleine réponse par l'arrivée de Teo. Le petit bonhomme se portait visiblement comme un charme. Un sourire joua sur le visage de la rouquine, sourire qui se transforma en rire qu'elle tenta tant bien que mal d'étouffer lorsqu'Enza envoya son poing droit dans l'estomac de son frère. De vrais cas ces deux là.

Quittant le couple fraternel, les prunelles de Lou remontèrent jusqu'au visage de Manu, lequel affichait une mine à faire peur. En fin de compte, elle préférait ne pas devenir leur gouvernante si, après deux jours on se mettait à ressembler à un figurant pour La Nuit des Morts-Vivants.

Tandis que les deux hommes s'installaient, Lou se pencha pour récupérer la serviette qu'Enza avait fait tomber. Ne manquait plus que quelqu'un marche dessus et ils seraient repartis pour quelques heures de plus au sein de l'hôpital. Une fois correctement assise sur sa chaise, la jeune fille remercia la serveuse qui venait de leur déposer leur plat - pâtes pour l'une et sandwich pour l'autre, et daigna enfin répondre à la question de Manu avec un sourire plein de commisération pour l'état déplorable dans lequel il se trouvait.

-"J'avais une interview, mais je crois qu'on m'a oubliée. Enfin, ça m'a permis de retrouver Enza. Tu as une tête à faire peur tu sais, pense à respirer surtout, je ne voudrais pas te perdre. Tu dors si mal que ça la nuit ? Si tu veux je t'accueille dans ma chambre."

La proposition de la rouquine était bien entendue faite en tout bien tout honneur, c'était son côté maternel qui reprenait le dessus, or un Manu fatigué était un appel vibrant à sa fibre protectrice.

« Pas touche, Teo Battista Mitchelli. »

Ne prenant pas garde à l’ordre, ledit Teo s’était emparé de la fourchette et sans surveiller le couteau avec lequel sa jumelle le menaçait, il s’appliqua à enrouler les pâtes autour de son couvert pour les porter jusqu’à sa bouche, des années d’expérience lui permettant de ne pas tâcher sur ses vêtements.

Il allait recommencer l’opération lorsqu’il vit que Vera était étrangement passive. D’habitude, elle finissait tout le temps par lui mettre une claque mais si elle préférait bouder plutôt que s’énerver : le jeu perdait vite de son intérêt. Délaissant le plat, il tourna un regard inquiet vers sa sœur. Non, elle avait vraiment l’air de bouder… Bah, bravo : maintenant, il allait devoir la dérider ou ils allaient passer une journée sans jouer. Tendant une bouchée à sa jumelle pour se faire pardonner toutes ses bêtises (en même temps, la seule fois où il n’en avait pas fait, elle lui avait tourné autour toute la journée avec un petit air inquiet et lui avait demandé si ça allait toutes les cinq minutes), il lui fit un sourire suppliant :

« Allez, mange !! S’il te plaît, Enza. »

Il approcha un peu plus la fourchette de sa bouche boudeuse de sa moitié qui consentit à avaler tout en le fusillant du regard. Un sourire victorieux se peignit sur son visage. Et étrangement, il vit le même sourire prendre forme sur les lèvres de son double.

« Bah quoi ? » lâcha-t-il sans comprendre pourquoi elle avait l’air tellement satisfaite.
« Rien rien. Dis, tu me donnes une autre bouchée, s’il te plaît ? » répliqua Vera en restant sagement assise sur sa chaise pendant qu’il s’exécutait.

Si le reste de la tablée ne remarqua pas ce que la proposition de Lou pouvait avoir d’ambigu pour des oreilles étrangères, le garnement se chargea de le faire à leur place. Délaissant l’assiette de sa jumelle, il eut un grand sourire avant de s’exclamer, ravi et candide :

« Je vais bientôt devenir tonton ? »

A ses côtés, Vera soupira lourdement et le temps qu’il revienne à son assiette, elle s’était enfuie du côté de sa soeur.

Manu soupira de bonheur, les yeux fermés : Vera boudait et Teo mangeait. Nul moment n’était plus propice au repos.

« Il m’a fait monter les cinq étages de l’hôpital au pas de course… » soupira-t-il.

Laissant les jumeaux rouspéter dans leur coin, il interpella la serveur pour qu’elle leur serve un sandwich poulet crudités et une autre assiette de pâtes (il sentait que la bouderie de sa filleule finirait en bataille s’il n’agissait pas sous peu) avant de se tourner vers Lou.

Un regard de pure gratitude se posa sur la jeune femme. Non pas qu’il dorme particulièrement mal dans le salon (car il était bien connu qu’il pouvait dormir n’importe où et n’importe quand) mais les jumeaux avaient pris comme prétexte de son exil pour croire qu’il était devenu un chien de garde et en conséquence, ils venaient le réveiller à toute heure du jour et surtout de la nuit pour qu’il leur raconte une histoire, joue avec eux, les départage, leur fasse à manger…
Sans compter que même s’il envisageait de lancer un sort pour éviter que les sons n’entrent dans sa chambre (ainsi il espérait pouvoir contrer le sommeil léger des jumeaux et gagner quelques heures de sommeil supplémentaires), il n’empêchait que les allées et venues matinales, même discrètes, de ses colocataires le réveillaient.

« Tu ferais ça ? » demanda-t-il, peu certain d'avoir bien entendu la proposition, son visage tout entier criant par avance qu'il acceptait.

Il s’apprêtait à aller pleurer toute sa reconnaissance sur l’épaule de Lou lorsque Teo crut bon d’intervenir. Théoriquement habitué aux remarques de son cousin, il échappa pourtant de jutesse à la mort par syncope. Il n'y avait rien à faire en l'absence de Mara et d'Ugo (les grands parents et ses propres parents laissaient sans cesse les jumeaux faire ce qu'ils voulaient comme ils l'avaient fait auparavant avec son frère, sa soeur et lui-même). Avec ça, Teo et Vera avaient le chic pour poser les questions qu'il ne fallait pas. Par chance, l'unique diversion possible arriva sur un plateau d'argent et prenant l'assiette des mains de la serveuse, Manu la déposa devant le garnement avant d'ordonner :

« Mange, Teo. »

La jeune génération était complètement obsédée par la procréation. C'est du moins le constat perturbant que fit Lou après le commentaire du jeune Teo. De sa présence dans un hôpital, Enza déduisait obligatoirement qu'un enfant était à naître, quant à son frère il... il interprétait sa proposition de façon tout à fait inappropriée.

Lou en rougit jusqu'à la racine des cheveux, ce qui, il fallait l'avouer, contrastait particulièrement bien avec la couleur de sa tenue. Les yeux baissés, elle n'osait même plus croiser le regard de Manu. Après tout, peut-être que lui aussi avait cru qu'elle ... enfin que... que ses intentions n'étaient pas tout à fait pures et... mais vraiment n'importe quoi ! Elle lui avait proposé de dormir dans sa chambre, pas dans son lit, il y avait une différence. Elle lui rendait service, elle ne cherchait pas à le draguer. D'ailleurs elle fuyait à toutes jambes les dragueurs, ce n'était pas pour en avoir les caractéristiques.

-"Bien sûr que non Teo. Manu ne dormira pas dans mon lit voyons." corrigea-t-elle en regardant l'enfant avec un rien de sévérité - d'après la rouquine, mieux valait rapidement mettre les choses au clair avec le petit garçon avant qu'il n'avertisse tout l'immeuble qu'il allait devenir tonton.

D'ailleurs, pourquoi Manu n'avait-il pas défendu son honneur ? Elle ne voulait même pas le savoir. Si elle donnait d'elle l'image d'une fille facile, elle n'avait plus qu'à se trouver un pont d'où se jeter. Elle morte, sa vertu ne craignait plus grand chose. Après avoir grignoté en silence un quart de son sandwich, la rouquine estima qu'elle n'avait plus faim.

-"Bien, je vais retourner chercher mon rendez-vous. Soyez gentils avec votre parrain les enfants, ou c'est lui qui va finir à l'hôpital..."

*Où, au moins, il pourra dormir en paix*

-"A ce soir tout le monde, courage Manu..." lança-t-elle ensuite avec un petit sourire un rien crispé avant de filer retrouver son étage pour poireauter en paix. Ses joues, elles, ne décoloraient pas...