La perfide Albion ~ Voir le sujet

Il était près de 19h quand Illiam quitta le foyer d'un pas pressé pour vaquer à ses occupations. Un de ses potes lui avait parlé d'un pub près de la grande gare du centre ville qui accueillait des groupes de jeunes londoniens toutes les semaines et il espérait que le gérant leur offrirait une chance à eux aussi.

Armé d'une guitare sur le dos, protégée d'une sacoche adaptée, il prit donc le métro puis le bus pour rejoindre le bon quartier. Avant de partir de chez lui le matin, il avait même pensé à prendre une cassette audio qui contenait quelques enregistrements de leurs compositions. Il pouvait se montrer convaincant quand il voulait, raison pour laquelle c'était souvent lui qui s'occupait de trouver des dates et des salles pour leurs représentations.

C'est donc plutôt motivé et déterminé qu'il traversa la route, passa devant un vieux pub miteux au nom bizarre - l'enseigne indiquait Chaudron Baveur, ce qui le rassura puisque ce n'était pas le nom qu'on lui avait indiqué pour son groupe - et continua son chemin sur le trottoir pour finalement s'arrêter devant un établissement qui lui plut aussitôt. Sans une seconde d'hésitation, il fit donc son entrée dans l'espace enfumé où buvaient toutes les catégories de population. Mais ce furent surtout les trois jeunes femmes qui jouaient un morceau de rock sur la scène qui attirèrent son attention.

* Intéressant *

Admirant au passage la plastique des demoiselles peu vêtues, Illiam s'avança vers le comptoir et hurla sa commande au barman. Une fois servi, il capta l'attention de la chanteuse vers qui il leva son verre avec un sourire charmeur et fut satisfait du regard aguicheur qu'il reçut en retour. Peut-être qu'il ferait d'une pierre deux coups, ce soir.

La soirée se déroula donc à écouter une musique correcte bien que peu originale et à boire puisque le serveur l'informa que le propriétaire du pub était absent pour la semaine. Déçu, il s'informa du retour de son hypothétique futur employeur et passa les deux heures suivantes à flirter avec la blonde dès que le groupe faisait une courte pause. Il ne patienta cependant pas jusqu'à la fin du mini-concert, s'étant déjà lassé de la compagnie et un peu fatigué après une journée à cotoyer des ados à problèmes.

Une fois le numéro de téléphone de la fille obtenu, il laissa un petit pourboire sur le comptoir et s'éclipsa. L'air de la rue était frais maintenant que la nuit était tombée mais c'était assez agréable. Une main dans une poche de sa veste, l'autre tenant la lanière de sa sacoche à guitare, il refit le chemin inverse vers la bouche de métro. Il se trouvait juste devant le pub délabré quand le destin décida de lui jouer un drôle de tour.

« La guigne ! »

Ce juron, si élégamment grogné, ne venait de nulle autre que Natsuko, arbitrairement désignée par ses colocataires pour aller chercher les glaces chez Florian Fortarôme. Toujours habillée avec les vêtements du boulot, elle s’était donc saisie de son manteau, avait enfilé une paire de baskets qui juraient totalement avec sa jupe et son chemisier (de toute façon, les sorciers n’y verraient que du feu) et était sortie. Pas franchement fan des transports en commun moldu et détestant cordialement l’inconfortable réseau de cheminées, elle avait opté pour le transplanage.

Voilà comment, à vingt-deux passées, Natsuko se retrouvait accrochée à la balustrade d’un balcon du Chaudron Baveur. Ses jambes gesticulant dans le vide, la japonaise tenta tant bien que mal de tirer sur ses bras pour remonter mais ses maigres forces de sorcière habituée à jouer de la baguette dès que la tâche s’averrait trop ardue ne lui furent pas d’un grand secours. Avisant quelques passants à plusieurs mètres en contrebas, elle dut d’ailleurs se faire violence pour ne pas hurler à l’aide (les moldus ne comprendraient probablement pas comment elle s’était retrouvée là), elle pria Merlin, les quatre Fondateurs de Poudlard, Dumbledore et même Harry Potter de faire en sorte qu’un sorcier loge dans la chambre et qu’il remarque que les deux mains accrochées à son balcon.

Cinq minutes plus tard, toujours rien et la douleur qui vrillait les jointures de doigts avait coulé jusque dans ses épaules et ses bras, équilibrant un peu le tout. La jeune femme n’y tenant plus, elle dût lâcher prise et dans sa chute, elle pria pour qu’aucun moldu ne la remarque. Avec un peu de chance, et même si l’hypothèse paraissait grotesque, elle pourrait se faufiler dans le pub et réparer tout ce qu’il y aurait à réparer une fois à l’intérieur.

Le hasard fit qu’elle ne se brisa absolument rien. En revanche, la bouffée de gratitude consommée, Natsuko réalisa qu’elle était tombée sur quelque chose de mou, de chaud et de… vivant ? Vivant ! Se relevant aussitôt, elle remit sa jupe en place subrepticement et tendit une main à l’inconnu qui avait eu l’amabilité de lui servir d’amortisseur :

« Oh, excusez-moi. Je suis vraiment désolée… J'espère que vous n'avez rien de cassé. »

Et avec toute la chance qu'elle avait, sa tête de gamine et sa tenue complètement dépareillée, il allait croire qu'elle avait fugué ou une bêtise de ce genre...

* Allez, positive ! Ca se trouve, il a été frappé d'amnésie à cause du choc ! *

Malheureusement pour Natsuko, Illiam n'était pas frappé d'amnésie. Par contre, il était un peu en état de choc, essayant de comprendre ce qui venait de se passer. Un moment il était tranquillement en train de marcher sur le trottoir et l'instant d'après, il se retrouvait avec une jeune fille dans les bras. Ce qui aurait pu être plaisant dans d'autres circonstances, s'il n'avait pas servi de trampoline et n'avait pas l'impression que ses vertèbres s'étaient éparpillées un peu partout dans son dos, par exemple...

Le jeune homme fixa quelques secondes la main tendue sans réagir, avant de lever les yeux au dessus de lui, d'aviser le balcon, puis de revenir aux doigts offerts. Soit cette fille avait sauté dudit balcon, soit elle était apparue de nulle part... une extra-terrestre sûrement.

" J'ai bien peur de ne plus pouvoir marcher, tu vas être obligée de me porter jusque chez moi. ", répondit-il finalement en prenant la main féminine dans les siennes. Il l'avait tutoyée tout naturellement, pensant qu'il avait à faire à une ado de quatorze ou quinze ans. A peu près l'âge des gamins avec qui il bossait.

Vu la carrure de la demoiselle, il préféra se lever sans trop tirer sur le bras menu et grimaça légèrement dans la manoeuvre. Son dos craqua alors qu'il retrouvait une position debout, la main de Nastuko toujours dans une des siennes, pendant que de l'autre, il se massait le bas des reins. Visiblement, il n'avait pas l'intention de relâcher sa jeune aggresseuse dans l'immédiat...

" Finalement, peut-être que ce ne sera pas nécessaire. ", continua-t-il tranquillement en dévisageant l'inconnue, une lueur taquine dans ses yeux chocolat. Elle n'était vraiment pas très grande, une chance pour lui qui se serait sûrement brisé la nuque dans le cas contraire. Si un gamin l'avait reçue sur la tête par contre, ç'aurait pu être plus grave.

" Je ne sais pas si tu es au courant, mais sauter des balcons n'est pas sans danger, tu me sembles suffisament âgée pour savoir que c'est un jeu stupide. "

Voilà que son côté animateur socioculturel ressortait même pendant ses heures de libre... Mais cette fille était l'exemple typique des adolescents à problème. Qu'elle soit en fugue ne l'aurait même pas étonnée. Sur le point de lui indiquer l'adresse du foyer où il travaillait, Illiam perdit toute envie de faire la conversation en remarquant sa guitare qu'il avait complètement oubliée après sa chute. Si elle était cassée ou âbimée, ça allait poser problème... Pour lui, mais aussi pour le groupe.

" Pitié non... ", murmura-t-il pour lui même en libérant enfin la main de Natsuko pour aller examiner sa sacoche qui, il l'espérait, avait dû amortir le choc.

Pas le moins du monde perturbée par le tutoiement – après tout, même le Ministre avait fait l’erreur quand il l’avait croisée pour la première fois –, Natsuko ne put pourtant s’empêcher de tiquer. Rien ne l’insupportait plus que d’être prise pour une gamine. Bon soit son corps était encore celui d’une gamine (et elle espérait bien qu’elle pourrait bientôt dire ça au passé) mais les gens pouvaient se débrouiller pour être sur-voyant. Ca ne devait pas être si difficile à faire.

« Vous… porter ? Ce serait pas plus simple de lan… » répliqua-t-elle sans un sourire avant de réaliser qu’elle avait failli lui parler de magie.

Après tout, rien ne lui disait que cet homme était un sorcier. Même s’il se trouvait devant le Chaudron quand elle était tombée, ça n’empêchait pas que Charing Cross Road était toujours remplie de monde, sorciers et moldus confondus.

« De demander de l’aide dans ce pub. Je connais le patron. » conclut-elle en tirant sur sa main pour la récupérer.

Fixant résolument l’enseigne du pub, Natsuko s’appliqua à ignorer le regard de cet inconnu (s’il n’y avait pas eu quelques badauds dans la rue, elle lui aurait volontiers lancé un sortilège d’Amnésie avant de partir) tout en faisant disparaître l’horripilante teinte rouge qui avait pris possession de ses joues. Mais lorsqu’il parla de balcon, elle leva un regard exaspéré vers lui. Il prenait vraiment pour une gamine en plus !

« Parce que vous croyez sincèrement que j’ai fait ça pour m’amuser ? Je suis pas une Gryffondor, moi ! Et si vous pouviez me rendre ma main, j’en serais particulièrement ravie. » lâcha-t-elle d’un ton sec en tirant plus fort sur son bras.

Elle s’apprêtait d’ailleurs lui dire d’arrêter de la prendre pour une gamine lorsqu’il accéda à ses désirs. Emportée par son élan, elle se retrouva sur les fesses. Pas loin de le laisser là avec ses vertèbres brisées et de retourner à ses occupations – ça lui apprendrait à la faire tomber délibérément ! –, elle se releva et réalisa qu’il était penché vers une sacoche à instrument. Probablement contenait-il quelque chose d’important et Natsuko commença à éprouver des remords. A le voir se lamenter sur le sort du... de la… de l’instrument, il était probablement moldu. Et c’était de sa faute à elle si l’objet avait pâti de son mauvais atterrissage.

Soupirant tout haut, elle ramassa son manteau qui traînait sur le trottoir et sortit d’une des poches intérieures sa baguette. D’un Informulé, elle arrangea ce qu’il y avait éventuellement à arranger, priant pour que le moldu ne remarque pas la brise qui avait accompagné le sort. Mais dans sa hâte à vouloir ranger la baguette sans attirer l'attention, Natsuko la fit tomber dans un bruit sec et parfaitement audible.

Génial, il ne manquait plus que ça. Si elle devait faire appel aux Oubliator, elle n’avait plus qu’à se suicider…

Décidée à ne pas trépasser avant longtemps, elle laissa choir son manteau au sol, juste sur la baguette et s'accroupit pour la ramasser aussitôt.

La fille était adorable à rougir si facilement. Quant à ses piètres tentatives pour se libérer, ça ne donnait qu'encore plus envie à Liam de garder cette petite main en otage. Dans quelques années, elle ferait des ravages, il en était sûr, il voyait un sacré potentiel dans les grand yeux noirs. Dommage qu'elle soit si jeune.

Les hésitations de sa prisonnière ne firent que lui confirmer qu'il avait à faire à une adolescente en pleine crise. Il ne fallait pas être devin pour comprendre qu'elle avait quelque chose à cacher... A cet âge là, c'était soit un problème de drogue, soit une fugue. Il espérait juste qu'il s'agissait du deuxième choix et qu'elle n'avait pas pour autant un cadre familial trop compliqué.

" Si ce n'est pas toi qui me portes, ça perd tout l'intérêt de la chose. ", la taquina-t-il en testant ses jambes et ses bras en les pliant chacun leur tour. Verdict, il survivrait.

L'adolescente se mit soudain en pétard sans que ça ne choque particulièrement Illiam, habitué à subir les colères enfantines tous les jours. Avec indulgence, il l'écouta sans un mot, si ce n'est que ses yeux brillaient d'amusement. Il faut avouer qu'elle était très divertissante, il faudrait qu'il la revoit dans deux ou trois ans pour pouvoir en profiter d'avantage.

" Bien sûr, bien sûr. ", lui accorda-t-il avec tact en se demandant quel dialecte elle utilisait. Est-ce que Grifottor était un nouveau nom à la mode chez les jeunes ? Il faudrait qu'il demande à ses ouailles, demain au foyer. C'est fou comme il se sentait soudain très vieux... " Tu n'as donc pas sauté de ce balcon délibérément, en fait on t'a poussée. Me voilà rassuré. "

Sans un mot de plus, se souvenant soudain de son pauvre instrument malmené, il lui tourna le dos - manqua sa chute - et s'agenouilla près de sa sacoche avec un brin d'inquiétude. Il n'avait pas les moyens de se racheter une telle guitare, il avait longtemps économisé pour s'offrir celle-ci. Les gestes mesurés et prudents, il fit donc glisser la fermeture éclair et souleva tout doucement le couvercle protégeant son trésor.

" Pfiou... ", soupira-t-il aussitôt avec soulagement en caressant le bois pour se rassurer et être sûr qu'elle était bien entière. A aucun moment, il ne soupçonna l'intervention de sa jeune compagne, le courant d'air ne lui semblant pas particulièrement suspect. Pas plus louche que le son d'un bout de bois rencontrant le trottoir en tout cas. Le fait que la demoiselle était accroupie par terre quand il pivota la tête pour voir ce qui se passait ne fit qu'ajouter à sa perplexité.

" Rassure moi, tu n'as pas bu ou ingéré une quelconque substance illicite ? ", demanda-t-il en retournant la guitare pour vérifier l'autre côté de la caisse de raisonnance.

« C’est justement à ce moment-là que ça prendra tout son intérêt. » dit-t-elle en maudissant ses joues pour leur rougissement intempestif.

Non, mais c’est qu’en plus, il se foutait d’elle. Hum, s’il n’y avait pas eu cette loi de protection des moldus, elle lui aurait volontiers mis sa baguette sous le nez et fichu la frousse de sa vie (pas qu’elle soit particulièrement redoutable, mais les moldus étaient facilement impressionnables pour peu qu’on y mette les formes). Parfois, elle maudissait ses petits poings inefficaces : on ne punissait pas les sorciers pour violences non magiques sur les moldus.

Plutôt que de lui casser la figure pour lui faire ravaler son sourire moqueur (à moins d'avoir une potion de Force à avaler, elle doutait de réussir dans son entreprise de toute façon), elle darda sur lui un regard noir avant de répliquer :

« Si une absurdité pareille vous convient comme explication… »

Non, mais n’importe quoi ce mec. Le choc avait dû atteindre son cerveau. Oui, voilà, c’était probablement ça. Et même si ce n’était pas ça, ça aurait pu être une excellente raison.

Inspirant un bon coup, elle tenta de se calmer. Enervée comme elle l’était, elle ferait éclater toutes les lampes de la rue avec son Informulé. Inspire, expire. Zeeen surtout. La bague autour de son index fit plusieurs tours sur l’ordre impérieux du pouce. Se concentrer uniquement sur le bijou la calma quelque peu et ce fut, soulagée, qu’elle réalisa que son sort avait fonctionné.

Mais toute sa bonne volonté s’évapora comme neige au soleil lorsque l’inconnu se tourna vers pour lui poser une question des plus… vexantes ? Bon, elle admettait être un peu fofolle. Beaucoup. D’accord. Mais droguée ? Ce moldu n’avait plus les yeux en face des trous. Peut-être même qu’il ne les avait jamais eu.

Ramassant son manteau et la baguette dans sa main cachée par les plis, elle parcourut en quelques pas la distance qui les séparait, lança son bras en arrière et le gifla. Il ne méritait que ça après l’avoir s’être foutue d’elle, l’avoir fait tombée et traitée de droguée.

« Je ramassais mon manteau, crétin. » lança-t-elle en guise d’au revoir avant de passer la porte du pub.

Une poignée de minutes plus tard, elle se retrouvait sur le Chemin de Traverse.
Et une dizaine de tours de la grande aiguille après, ses colocataires se retrouvèrent à écouter son anecdote, écroulés de rire autour de leurs glaces.

On ne peut pas dire que cette fille était la reine de la rigolade. Elle prenait tellement tout au premier degré qu'elle jonglait entre rougissements et colères, au plus grand plaisir de son bourreau personnel. Illiam avait le don pour se taper la discute avec des inconnus mais là, il s'amusait tant qu'il savait qu'il n'était pas près de l'oublier.

Malheureusement, trop occupé à faire des papouilles à l'amour de sa vie - sa guitare - il ne vit pas la claque arriver. Pas qu'il aurait forcément réussi à l'éviter mais il n'était pas du tout préparé psychologiquement. Par contre, passé le moment de surprise, il fut plus amusé qu'en colère.

" Pour moi aussi, ce fut un plaisir ! ", lui cria-t-il en se frottant la joue alors qu'elle s'éloignait sans se retourner.

Riant tout seul en la lorgnant d'un regard appuyé, il décida qu'il fallait vraiment qu'il la recroise d'ici quelques années. Vu le caractère, on ne devait pas s'ennuyer avec elle. Au lit comme ailleurs.

Un sourire amusé aux lèvres, il rangea son trésor dans sa boîte et se releva en grimaçant un peu. Il avait beau avoir fait le fier devant la demoiselle, il avait quand même servi d'amortisseur et son dos allait le lui rappeler pendant quelques jours. Plaçant délicatement la lanière de sa housse sur son épaule, il reprit son chemin en se demandant qui il pourrait appeler pour avoir un petit massage... privé...

[ Topic clos, faudra qu'on se concerte pour leur prochaine rencontre ^^ ]